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La Mère descend de voiture. La Fête à Neu-Neu, pastel par Henri Morisset, 1900
La Mère à Venise en 1901 Page – 20 Douce Mère avait une grande intimité avec son frère. Lorsqu'elle était petite, ses parents ne la comprenaient pas toujours, mais lui, Mattéo, la comprenait. Il la comprenait, non pas avec sa tête, mais il sentait au fond de lui-même la recherche de sa sœur. Il avait une tranquillité intérieure naturelle. Plus tard, à l'époque où il préparait Polytechnique, il eut lui-même une expérience intéressante et la raconta à Douce Mère :
Un jour, alors qu'il marchait, il a senti descendre en lui une force formidable, une force extraordinaire. Il s'est arrêté. Une voix lui a dit: «Veux-tu être un Dieu?» Il est resté pétrifié un moment, puis il a répondu: «Non, parce que je veux servir l'humanité.» Alors, Douce Mère, lorsqu'elle a raconté cette histoire, a ajouté doucement avec un sourire: «Je ne lui ai pas dit, mais j'ai pensé: tu es un sot! parce qu'il était passé à côté d'un très bel avenir... »
Mattéo a d'ailleurs fort bien servi l'humanité, il est devenu Gouverneur des Colonies, au Congo, aux Antilles et au Soudan, où il a fait socialement un grand travail pour les Africains qui le considéraient comme un saint.
Mattéo avait donc la faculté intérieure de comprendre sa sœur, et c'est lui qui, un jour, lui a apporté une revue qui s'appelait « La Revue Cosmique » publiée par un grand occultiste. Douce Mère a trouvé dans cette revue une recherche qui l'intéressait et qui était bien différente du monde rationaliste dans lequel elle vivait. Elle est entrée en contact avec le monsieur qui publiait la revue et elle a décidé d'aller le voir en Algérie où il vivait avec sa femme.
À cette époque — Douce Mère avait vingt-cinq ans — les dames ne voyageaient pas toutes seules. Elle a dû surmonter bien des difficultés, car son entourage n'approuvait pas qu'elle parte ainsi. Mais tout de même elle est partie, elle a pris le train, puis le bateau, puis encore le train et elle est arrivée à Tlemcen, aux portes du Sahara.
Monsieur T. l'attendait à la gare et il l'a accompagnée chez lui en voiture à cheval. La maison était isolée, loin de la ville. Pour faire ses expériences, Monsieur T. avait besoin de solitude. Douce Mère a vu chez lui des choses tout à fait extraordinaires.
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La maison de Tlemcen. Peinture à l'huile par la Mère.
Ce Monsieur T. était un homme... comme je vous l'ai dit, c'était un occultiste, c'est-à-dire qu'il avait la maîtrise des forces cachées, secrètes, de la Nature. Il savait les utiliser. En plus, il connaissait la venue d'une nouvelle race et il parlait du Dieu intérieur. C'est Monsieur T. qui a ouvert les portes de l'occultisme à Douce Mère. Elle avait ces possibilités en elle, mais c'est lui qui lui a montré comment les actionner.
En vérité, ce monsieur, on ne savait pas d'où il venait. Il pouvait venir de Pologne ou de Russie. -Il était arrivé en Algérie avec beaucoup d'argent, il avait acheté un territoire, très beau, avec des quantités d'arbres. C'était une colline immense avec des oliviers, des orangers, des citronniers, des figuiers énormes, comme Douce Mère n'en avait jamais vu et, peut-être le savez-vous, des pamplemousses, et aussi il avait planté des sapins... Vous connaissez l'histoire du Seigneur de la Neige, le petit gnome au bonnet pointu qui couvre de neige Page – 22 les sapins de Tlemcen, tout près du Sahara... et l'histoire de Madame T. qui elle aussi était une grande occultiste et avait le pouvoir d'absorber la vitalité des pamplemousses simplement en les posant sur son plexus solaire... Douce Mère a raconté ces « Souvenirs de Tlemcen » dans les Entretiens. Vous connaissez peut-être aussi l'histoire de l'orage? Non?
Un jour, il y a eu à Tlemcen un orage terrible, île tonnerre grondait dans les montagnes et la foudre risquait de tomber sur la propriété. Monsieur T. a dit à Douce Mère: «Vous allez voir!» Il est monté sur la terrasse, Douce Mère l'a suivi. À ce moment est arrivé un éclair formidable sur Monsieur T. et Douce Mère a vu l'éclair fendre le ciel et venir droit sur lui, puis se détourner et continuer plus loin sur sa lancée!
Alors, Douce Mère a dit à Monsieur T.: «C'est vous qui avez fait ça?» Monsieur T. a simplement hoché la tête en signe d'acquiescement, et Douce Mère a dit: «Il avait un drôle d'air.» Et elle a ajouté: «N'est-ce pas, lorsque je raconte ça, personne ne me croit, mais moi, je l'ai vu. Et lorsque l'on me dit que c'est impossible, je dis: il est possible que ce soit impossible, mais moi, je l'ai vu!»
Douce Mère aimait beaucoup Madame T. C'était une femme très gentille. Lui n'était pas toujours commode, mais elle, avait une grande bonne volonté en plus de ses qualités médiumniques extraordinaires. Douce Mère a passé deux mois dans cette maison à Tlemcen, où le papa d'André-da est venu la retrouver. André-da, lui, était resté en France avec ses tantes que l'on voit sur le pastel avec Douce Mère.
Un jour qu'ils étaient tous les quatre à table, Monsieur T. a dit, en parlant d'une certaine couleur: « Ça, c'est pourpre. » Pourpre, vous savez ce que c'est? C'est un rouge violacé. Il a dit: « Ça, c'est pourpre. » Et le papa d'André-da, qui était peintre et connaissait bien les couleurs, lui a dit: « Non, ce n'est pas pourpre, c'est violet. » Parce que l'objet que montrait Monsieur T. était violet. Et la discussion a commencé. Monsieur T. soutenait que c'était pourpre, et le papa d'André-da affirmait que c'était violet. Et le ton montait. Et Douce Mère a vu la force de Monsieur T., elle savait qu'il avait de grands pouvoirs, et qu'il n'était pas
Page – 23 commode, et que la situation allait mal tourner. Alors, Madame T. qui était assise à l'autre bout de la table, s'est levée tranquillement, elle est venue derrière la chaise de Douce Mère et elle a posé les mains sur les épaules de Douce Mère qui a senti la force d'une paix tout à fait merveilleuse envahir tout son être et se répandre peu à peu dans l'atmosphère. La discussion s'est arrêtée immédiatement.
Dans les Entretiens, vous lirez aussi la façon dont Madame T. s'est débarrassée d'un visiteur importun en poussant une table vers lui par sa simple concentration !
Un autre jour, Monsieur T. se promenait avec Douce Mère — sans doute une de ces promenades pendant lesquelles Madame T. mettait des guirlandes de fleurs dans la chambre de Douce Mère sans ouvrir la porte ni les fenêtres, comme Douce Mère nous le raconte dans les Entretiens — Monsieur T. marchait donc devant elle sur un chemin étroit. Il s'est retourné brusquement et a dit à Douce Mère: « Nous sommes seuls. Vous êtes entièrement en mon pouvoir. Vous n'avez pas peur? » Alors, Douce Mère, très calme, a répondu : « Non. Je n'ai pas peur, parce que le Seigneur est là. » Et elle montrait son cœur. Monsieur T. est devenu blême.
Rentrée à Paris, Douce Mère a continué ses recherches. Elle a réuni quelques chercheurs en un petit groupe qui s'appelait « Idéa », on peut lire les causeries de ces réunions dans Paroles d'Autrefois et voir qu'elle a établi à ce moment-là le plan de ce qu'elle a réalisé plus tard à l'Ashram.
André-da vous a d'ailleurs raconté le souvenir qu'il a gardé de ce petit groupe:
« C'était en 1904 ou 1905, quand Mère habitait à Paris dans un appartement dont elle vous a parlé autrefois dans l'un de ses entretiens au Terrain de Jeux. C'était un appartement assez grand, rue Lemercier, et qui avait la caractéristique d'avoir un jardin, ce qui était assez rare à ce moment-là, et dans ce jardin, il y avait un atelier d'artiste où elle peignait et où mon père, son mari, peignait aussi. À cette époque, elle avait réuni un petit nombre d'amis et de philosophes. Ça s'appelait le groupe «Idéa». Page – 24
La Capucine, pastel par Henri Morisset. La Mère a posé deux fois pour ce tableau : de profile, à gauche, et de dos. André est au milieu, il a deux ans.
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Douce Mère et André. Étude pour La Réprimande par Henri Morisset, 1905 Page – 26 « Ils se réunissaient toutes les semaines ou tous les quinze jours pour parler d'un sujet quelconque, pour échanger des idées et chercher à trouver des conclusions qui auraient pu servir à l'ensemble du groupe. C'est à ce moment-là qu'a commencé ce qu'elle a publié ici plus tard sous le titre Paroles d'Autrefois. Cet atelier était dans le jardin, et communiquait avec l'appartement du premier étage par une sorte de passerelle en bois, très jolie d'ailleurs, qui allait de l'atelier directement à l'appartement. J'avais alors cinq ou six ans, et je dormais dans la pièce qui était à l'entrée de cette passerelle. Alors, ça me tracassait de savoir ce qui se passait dans l'atelier. Ça se passait le soir, j'étais couché, en principe, je dormais. Et un jour, je ne sais pas, j'avais du mal à m'endormir, je me suis levé en chemise de nuit, j'ai franchi la passerelle et je me suis trouvé dans l'atelier, en haut de l'escalier. J'étais assez bien dissimulé par les barreaux de l'escalier, et j'étais là, en train de regarder les gens qui discutaient dans l'atelier. Je n'y comprenais rien du tout, naturellement, mais ça m'amusait de les voir discuter. Quand tout à coup, il y en a un qui m'a aperçu et qui m'a montré à Mère en disant: « Tiens! qui est-ce qui est là? » Alors, j'ai filé comme un lapin, je me suis dépêché de rentrer chez moi, de me coucher et de tâcher de m'endormir. »
« Plus tard, je ne sais plus si Mère est venue me voir à ce moment-là ou si c'était seulement le lendemain matin, mes souvenirs sont assez flous, parce que j'étais à moitié endormi, mais elle est venue et elle m'a dit: « Oh! mais tu sais, tu n'as pas besoin de te lever pour savoir ce qui se passe là, si ça t'intéresse, tu n'as qu'à sortir de ton corps et venir. » Ah ! ça m'a paru extraordinaire. Alors, elle m'a expliqué, un peu, que l'être humain n'était pas limité à son corps physique, qu'il y avait des parties qui pouvaient s'échapper et, en particulier, on pouvait très bien aller se promener et aller voir ce qui se passait ailleurs. Je n'ai pas très bien compris, naturellement, mais cela m'a tout de même suffisamment frappé pour que je m'en souvienne soixante-dix ans après... »
Au cours de ces années elle a rencontré un Indien qui était un fervent de la Guîtâ; c'était le premier contact de Douce Mère avec la Guîtâ. Elle a rencontré aussi Abdul Baha, le fils de Baha Ullah, fondateur de la religion bahaï, elle nous parle de lui dans les Entretiens. Or, un jour qu'Abdul Baha était malade, Douce Mère était venue le voir chez lui. Il était couché, il ne pouvait pas se lever, et il devait faire une conférence. Il avait des disciples qui
Page – 27 étaient venus pour écouter la conférence et qui attendaient, ne sachant pas qu'il était malade. Douce Mère est arrivée chez lui, dans sa chambre, et lui a dit: « Vous n'êtes pas en état d'aller parler à vos disciples. Il faut remettre votre conférence à plus tard. » Il lui a dit: « Non, vous allez faire la conférence à ma place.» Alors, Douce Mère lui a répondu: — C'est impossible, je ne connais rien à votre religion, je n'en fais pas partie. Comment voulez-vous que je parle à vos disciples ? — Ça ne fait rien, lui a-t-il répondu, concentrez-vous et parlez. Tout se passera très bien. Douce Mère a hésité un moment, mais comme il insistait, elle y est allée, et elle a parlé de la vie spirituelle, son mental était parfaitement silencieux et elle s'entendait parler comme si quelqu'un parlait à sa place, et elle écoutait, elle aussi, la conférence. C'était la première fois que ça lui arrivait.
Par la suite, Abdul Baha a demandé à Douce Mère de prendre la responsabilité de ses disciples. Mais elle a refusé. Un autre destin attendait Douce Mère, elle a quitté Paris en mars 1914 pour venir à Pondichéry et rencontrer Sri Aurobindo.
Pendant ce voyage qui la menait vers Sri Aurobindo, elle est passée par le Canal de Suez, et le bateau japonais sur lequel elle voyageait a fait escale au Caire, en Égypte Elle est donc descendue au Caire et a visité le musée. Dans une vitrine du musée, il y avait le nécessaire de toilette d'une grande reine Égypte Il y avait un peigne, des épingles à cheveux, des flacons pour les parfums et des pots pour les onguents de beauté. Et en regardant ces objets, Douce Mère a dit: « Mais comme c'est mal rangé! Ce n'est pas du tout comme ça que je rangeais mes affaires. Les épingles doivent aller là, le peigne ici et les bouteilles dans cet ordre... » Et elle se sentait très ennuyée de voir que ses affaires n'étaient pas comme elle avait l'habitude de les voir...
C'est après avoir quitté le musée, dans la voiture qui la ramenait au port, qu'elle a su, en se rendant compte de l'expérience qu'elle venait d'avoir, qu'elle avait été cette grande reine Égypte Page – 28
Tout près, elle a loué une maison. La maison où se trouve aujourd'hui le bureau des Archives. De la terrasse, le soir au coucher du soleil, elle pouvait voir Sri Aurobindo se promener sur la véranda de son appartement. Dans la journée, elle venait le voir, et alors que les autres personnes parlaient avec Sri Aurobindo, elle restait tranquille, concentrée sur cette paix qui émanait de lui: « Je me disais : ça, c'est quelque chose de tout à fait merveilleux. Et je restais concentrée pour garder soigneusement en moi ce don précieux. Depuis, c'est toujours resté. » Elle a passé à peu près un an à Pondichéry. C'est à ce moment qu'elle a commencé la publication de l'Arya, elle traduisait en français les écrits de Sri Aurobindo. Mais elle a dû repartir pour la France, à Paris, car la guerre avait éclaté. Dans les Prières et Méditations, lorsque le bateau s'éloigne des rivages de l'Inde où elle laisse Sri Aurobindo, elle écrit: « C'est l'âpre solitude... » Page – 29 À Paris, pendant la guerre, il y avait deux sortes de bombardements. D'abord, il y avait un gros canon, qu'on appelait la Grosse Bertha. Et. cette Grosse Bertha envoyait des obus sur Paris. Et puis, il y avait des ballons dirigeables que les Allemands envoyaient, pleins de bombes, au-dessus de Paris. Et lorsque la Grosse Bertha commençait de tirer, ou bien que l'on voyait arriver les ballons dirigeables, on sonnait l'alerte pour avertir la population qu'il fallait entrer dans les abris. C'est-à-dire que les pompiers passaient dans les rues en sonnant du clairon et on devait aller dans les caves. Les bombes tombaient, les maisons étaient démolies et les gens étaient parfois sous les décombres attendant qu'on vienne les en sortir. Mais Douce Mère ne voulait pas aller dans les caves. Parce que, disait-elle, il y avait autant de gens qui mouraient de bronchites attrapées dans les caves humides et froides que de gens qui étaient tués par les bombes. Alors, choisir entre les bombes ou le froid des caves... Douce Mère préférait rester chez elle.
Or, un soir qu'elle allait fermer sa fenêtre, elle aperçoit un ballon dirigeable dans le ciel, elle entend sonner l'alerte, et au même moment, un bruit formidable, et toute la maison est secouée, les objets tombent des meubles, c'était un véritable tremblement de terre. Elle a pensé que la bombe n'était vraiment pas tombée loin et comme c'était tout noir, elle a attendu que le jour se lève pour aller voir dans le quartier ce qui s'était passé.
Le lendemain, Douce Mère est donc sortie dans la rue et, tout près de chez elle, il y avait en effet un immeuble de cinq à six étages qui avait été coupé en deux. Et elle disait que c'était très curieux parce qu'elle voyait la moitié de la maison, debout, coupée par le milieu; c'était comme un gâteau, on voyait les étages les uns au-dessus des autres, les salles à manger les unes au-dessus des autres, les chambres à coucher les unes au-dessus des autres, etc. Et la partie tragi-comique de l'histoire, c'est que dans une des salles de bains, tout en haut, il y avait une dame qui était en train de prendre son bain au moment où la bombe était tombée ! On voyait la dame dans sa baignoire, la porte et l'escalier étaient tombés avec la moitié de la maison, la baignoire était restée fixée contre le mur et la dame était dans sa baignoire, elle ne pouvait pas sortir et elle poussait des cris épouvantables! Alors, c'était abominable et en même temps, c'était très drôle ! Finalement les pompiers sont arrivés avec leur grande échelle, ils sont montés, ils ont enveloppé la dame dans une couverture et l'ont descendue.
Page – 30 Douce Mère n'est restée qu'une année en France, car elle est partie pour le Japon, mais voilà l'état dans lequel était Paris lorsqu'elle l'a quitté pour ne jamais y revenir. Il n'était pas possible d'aller en Inde, mais les choses s'arrangeaient pour aller au Japon. Alors, elle est partie.
La première fois que Douce Mère avait entrepris ce long voyage vers l'Orient, elle était passée par le Canal de Suez. Mais la seconde fois, comme c'était la guerre, le Canal était fermé. On ne pouvait donc pas passer par là, car il y avait l'armée. En plus, il n'y avait pas de compagnie française ou anglaise ou allemande qui faisait le voyage, car tous ces pays étaient en guerre, mais il y avait un bateau japonais qui partait d'Angleterre pour aller au Japon. Elle a donc décidé de prendre ce bateau. Il fallait passer par le Cap de Bonne Espérance, c'est-à-dire qu'il fallait faire le tour de l'Afrique et le voyage durait cinquante-deux jours. D'habitude, pour aller de France en Angleterre, on s'embarquait à Calais, mais comme c'était trop près des lignes allemandes, il fallait s'embarquer à Boulogne sur Mer pour traverser la Manche; Douce Mère est donc partie de Boulogne sur Mer. Lorsqu'elle est montée sur le pont du bateau, le stewart lui a demandé de s'allonger sur une chaise longue, et Douce Mère a vu, en effet, beaucoup de personnes allongées.
— Il faut vous allonger, lui dit le stewart, et on va vous attacher, on attache les passagers, car si le bateau coule, n'est-ce pas, s'il y a une bombe qui arrive sur le bateau, ce sont des chaises longues tout à fait spéciales, et si le bateau coule, les chaises longues vont flotter sur l'eau et comme ça, vous avez une chance d'être sauvée. Ces chaises longues étaient des sortes de bouées de sauvetage. Alors, Douce Mère a regardé le stewart et elle lui a dit : — Moi, je préfère qu'il n'y ait pas de bombe et que le bateau ne coule pas.
Le stewart n'avait pas un grand sens de l'humour, mais tout de même il a laissé Douce Mère se promener sur le pont... et le bateau n'a pas coulé.
Page – 31 Une fois à Londres, il a fallu subir pas mal de formalités avant de s'embarquer sur le bateau japonais qui allait jusqu'à Kobé. Enfin, le 11 mars-1916, Douce Mère quittait Londres, et l'Europe.
L'atmosphère sur le bateau était lourde. Les gens ne pouvaient pas faire grand-chose. Pendant le jour, il y avait du brouillard, et la nuit, il était interdit d'allumer la lumière pour ne pas se faire repérer par les avions ennemis. On ne pouvait donc même pas lire. Il y avait si peu de distractions qu'un soir où le brouillard s'était dissipé, tout le monde a été heureux d'apercevoir dans le ciel un mince croissant de lune!
Douce Mère, elle, ne s'ennuyait jamais. Elle continuait de suivre sa discipline personnelle. En particulier, elle avait l'habitude de se lever très tôt le matin, elle se levait vers quatre heures et demie, faisait sa toilette et commençait sa journée. Alors sur le bateau, c'était la même chose. Un matin donc, elle se lève et se prépare à prendre son bain, lorsque, par le hublot, elle aperçoit sur la mer un autre bateau, très gros, et qui venait dans leur direction. Douce Mère, qui a toujours l'esprit pratique, a tout d'abord pensé: « Nous sommes en guerre. Si ce bateau nous accoste, on va peut-être demander à tous les passagers de venir sur le pont. Il faut donc se préparer pour être dans une tenue correcte. » Et tout en prenant son bain et en s'habillant rapidement, elle surveillait par le hublot ce qui se passait à l'extérieur. Elle a vu le bateau se diriger sur eux, s'arrêter, faire des signaux lumineux, puis elle s'est rendu compte que leur bateau n'avançait plus. Et l'autre bateau continuait de faire des signaux. Elle en a conclu que leur bateau aussi faisait des signaux pour converser avec le gros bateau. Elle observait les manœuvres. Le bateau a tourné autour du leur, et tout à coup, est reparti dans la direction d'où il était venu. Tout cela avait duré un certain temps. Et Douce Mère se demandait ce qu'ils avaient pu se dire et ce qui s'était passé. Elle connaissait bien le capitaine car ils avaient sympathisé depuis le début du voyage, il était japonais, et Douce Mère avait même appris avec lui quelques caractères d'écriture japonaise. Alors, Douce Mère, dans la matinée, a dit au capitaine : — Il y avait un bateau ce matin, et il vous a dit quelque chose. — Oui, mais c'était de très bonne heure, comment le savez-vous? a répondu le capitaine. — Je l'ai vu. Il a fait des signaux. Et vous avez répondu. Et vous l'avez menacé, a affirmé Douce Mère sur le ton de quelqu'un qui sait.
Page – 32 Le capitaine est devenu très inquiet. Il a dit à Douce Mère de ne raconter cette histoire à personne parce qu'en effet, avoua-t-il, il avait menacé ce bateau de guerre, pensant que c'était le seul moyen de s'en débarrasser, mais il n'avait aucun droit de le faire. C'était contraire aux instructions qu'il avait reçues, et c'était très grave. Elle ne devait le répéter à personne, à aucun prix. Son bateau était pour le commerce et les passagers, il n'avait pas le droit de menacer qui que ce soit. Alors, Douce Mère a dit qu'elle promettait de n'en parler à personne. Il pouvait être tout à fait rassuré. — Mais, a-t-elle ajouté, maintenant que nous partageons un secret... dites-moi, qu'est-ce que vous leur avez dit ? — J'ai dit: « Nous avons un canon à bord! Et si vous ne partez pas immédiatement, nous tirons ! » Alors, ils sont partis. Douce Mère a regardé le capitaine et lui a dit doucement, sur le ton de la confidence: — Ah! Ah! vous avez un canon à bord... Et avec un air un peu piteux mais malin, le capitaine a répondu en hochant la tête: —Non!
La capitaine du bateau, croquis de Douce Mère Page – 33
Elle avait une correspondance suivie avec Sri Aurobindo et elle est revenue en Inde, auprès de lui, le 24 avril 1920, pour ne plus jamais en repartir. Cette fois-ci, elle est arrivée directement au port de Pondichéry: Page – 34
« Quand je suis arrivée du Japon, j'étais en bateau, au large, je ne m'attendais à rien. J'étais occupée naturellement, d'une vie intérieure, mais je vivais physiquement sur le bateau. Quand tout à coup, brusquement, à environ deux milles marins de Pondichéry, la qualité, je peux dire la qualité physique de l'atmosphère, de l'air, a tellement changé que je savais que nous entrions dans l'aura de Sri Aurobindo. »
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Douce Mère a fait cette esquisse en 1968 pour expliquer à un enfant ce qu'est le yoga. En bas, l'homme. En haut, le Divin. Retrouver son origine, s'unir au Divin est le but de toute la création. Le chemin sinueux est celui de la vie ordinaire, la ligne droite est le chemin du yoga.
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Portrait de Pournapréma en 1970 par la Mère.
Page – 37 Deuxième Édition Réprimer: 4 mars 2007 ©POURNAPREMA ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 4 MARS 2007 SUR LES PRESSES DE ALL INDIA PRESS, PONDICHÉRY. EXEMPLAIRES D'AUTEUR. IMPRIMÉ EN INDE
Il a été tiré de cet ouvrage 300 exemplaires numérotés de 1 à 300. Exemplaire n°. F 118 |